A propos
Il s’appelle monsieur Giscard. Il n’a jamais été centriste, ni président, et sûrement n’a développé aucun tropisme pour les diamants. Mais comme son prénom est Valery, il fut un temps où lorsque ses interlocuteurs lui demandaient la nature d’un tel prénom masculin, le jeune homme avait pour habitude de répondre : « Valery ? Comme le président ». Du coup c’était presque devenu naturellement un nom composé et c’est ainsi resté. Gonflé, c’est aussi une manière de s’attribuer une carte d’identité qui atteste d’une volonté de mettre de la distance et du décalage en toute chose. Monsieur Giscard, contrairement à son illustre roi républicain, a de quoi tenir ses promesses avec ce premier programme musical de cinq titres qui pourrait bien provoquer une révolution de velours dans le monde de la chanson française. L’art du décalage est partout chez ce jeune homme de 28 ans, ultra séduisant par sa nonchalance masculine et sa candeur virile.
Né en Guyane, il y vit jusqu’à l’âge de 15 ans. Et comme l’exprime un dolo guyanais : « La via a pa oun bol toloman » ce qui signifie « la vie n’est pas une partie de plaisir, c’est une lutte perpétuelle ». Aznavour avait chanté qu’il lui semblait que la misère serait moins pénible au soleil. Monsieur Giscard dit aujourd’hui qu’il fut l’enfant né sous le soleil d’une « pauvreté joyeuse ». En résumé, comme en conclusion la Guyane n’aura guère d’influences sur ces tropismes musicaux futurs. A 15 ans, il vit un choc thermique, émotionnel et donc musical. Le voilà en France. En Seine Saint Denis, et l’on ne parle pas encore du grand Paris. Monsieur Giscard observe bien avant les politiques, les ravages de la fracture sociale. Il lui faut réapprendre une nouvelle culture. Le soleil en moins, la violence cette fois conjuguée à l’insécurité. Heureusement la musique soigne les « Play blessures » de l’adolescence. Le
lycée est loin de chez lui, pas d’amis à proximité. L’éden c’est alors de passer tout son temps libre à rester dans sa chambre à jouer de la guitare et s’ouvrir au monde des plaisirs de la musique née de l’imaginaire de la manipulation d’une souris d’ordinateur. Un sampleur découvert sur Internet soudain lui fait marcher sur l’eau car il a la particularité de pouvoir brancher une guitare dessus. Malgré cela, tous les jours, c’est comme une extension du domaine de la lutte qu’il faut acquérir. Du CP à la 3eme il a voulu faire mille métiers, ou presque : dessinateur de BD, designer de skate Park, puis souffleur de verre, inventeur, militaire, vendeur de moto, puis mécanicien. Mais vient le temps où il faut mettre au magasin des accessoires ses rêves d’enfance, pour mieux peut être renouer avec eux plus tard. Il choisit une filière professionnelle qui pourrait l’incarner dans une forme de noblesse, même s’il ne se fait aucune illusion sur le devenir du marché de l’artisanat. Ce sera l’ébénisterie pour devenir luthier. Réparer des guitares lorsqu’on fait soi-même de la guitare, cela ressemble à une vocation. Même si pour lui, toujours réaliste, c’est surtout une chance d’avoir un métier rare qui lui procure un salaire. Mais luthier lui fait caresser sans le savoir, les mystères de la création. Monsieur Giscard aime la musique, moins le solfège. La guitare est son premier instrument, tout à fait idéal pour ne pas souffrir de cette méthode d’apprentissage.
Monsieur Giscard n’a pas d’autres moyens que d’écrire de son lit. Une musique de chambre un brin salace, qui sent les réveils comateux dans des draps bien fatigués. Chez lui, les mots sont d’abord un véhicule de son, plutôt que de sens. Il les met en bouche avec le goût du paradoxe : la distance de l’intime. Il chante comme s’il ne voulait pas trop qu’on l’écoute et du même coup provoque l’effet tout à fait inverse. On ne fait que ça. L’écouter, à fleur de peau et de baiser, pour être bien sûr du sens de ses émois. La voix est une caresse qui hérisse. Pour être au plus près de ses confidences, comme si nous étions le seul à qui il s’adressait. Ainsi « Pho » première chanson écrite il y a trois ans qui témoigne avec force de l’une des grandes caractéristiques de la psyché de monsieur Giscard. Qui ne cesse de creuser les questionnements autour des déséquilibres de la relation homme femme. Chanson de lendemain de cuite. Après l’euphorie de l’alcool vient la création salvatrice. Monsieur Giscard parle de cette urgence d’amour, celle de sa génération noyée dans les paradis artificiels par peur de s’engager. La chanson pourtant va plus loin et exprime en creux le combat incessant entre l’amour et le sexe. Et interroge leur destin commun dans le temps, vers une inéluctable incompatibilité.
Chacun peut comprendre ce qu’il veut dans les chansons libres de monsieur Giscard. Mais parfois le message est parfaitement clair comme dans le bouleversant « H&M », suite harmonique de contractions sociales. Et là on sourit doucement de constater qu’un autre Giscard interroge la valeur travail quarante ans après. Mais sans faire, évidemment, le même diagnostic. Que faire de l’idéal quadriptyque social : « salaire/ Sécurité/ RTT/ Vacances » lorsqu’on connait et chérit le prix de sa liberté en devenant artiste ? Monsieur Giscard pense que « le bonheur c’est compliqué, ou plutôt que le malheur c’est plus simple ». Puissions-nous lui répondre que ses chansons nous font penser à la phrase du grand Léo Ferré : « le bonheur, c’est le chagrin qui se repose ». Dont acte. Et pour nous consoler si l’on pensait finalement comme dans « Oyapok », le sourire en coin, que c’est le cul qui gouverne le monde ? Triste constat sur le papier, mais qui avec la verve de Giscard, devient un portrait générationnel aussi pertinent que léger. Quelque chose tout de même de typiquement houellebecquien dans cette chanson qui paradoxalement reste joyeuse dans son groove sexy.
Avec les deux dernières chansons « Pas personnel » et « Sans sentiment » monsieur Giscard finit de nous affiner son portrait. C’est l’histoire d’un mec… qui « n’a pas la confiance » et qui finalement avoue que l’arrogance est souvent le meilleur paravent pour justifier la peur de ne pas être à la hauteur. Choisir le pire parfois pour ne pas avoir à se confronter au meilleur. C’est implacable. Mais heureusement il reste le sentiment. Sa quête est partout et met au défi l’équilibre du couple. Il le fait sur un reggaeton déviant. Monsieur Giscard, dégagé, préfère dire « raté ». Comme un hommage à son adolescence guyanaise en fuite. C’est ainsi que l’on s’attache avec une attraction charnelle à l’apparence souvent désabusée de cet encore jeune homme au regard tendre et frondeur à la fois. En quête d’une recherche désespérée de l’amour absolu.
Décalé ascendant romantique. Ainsi se présente à nos suffrages monsieur Giscard. Avec un programme musical fait de rap mélodique, d’électro dansante et mélancolique, et de chanson française lorsqu’elle s’irrigue aux rythmes d’ailleurs, d’Afrique ou d’Amérique du sud ou de musique classique. Avec monsieur Giscard, Chopin et Club cheval mangent à la même table, Daft Punk et Pauline Croze ont des conversations. C’est donc un grand pacificateur, un idéaliste, un étranger chez lui, un musicien spontané, un sociologue qui s’ignore. Quelque chose du Baudelaire secret, qui écrivait dans son journal intime une suite de sentiments : « les airs charmants et qui font la beauté sont : l’air blasé, l’air ennuyé, l’air évaporé, l’air impudent, l’air de regarder en dedans, l’air de domination, l’air de volonté, l’air malade, l’air chat, enfantillage, nonchalance et malice mêlés… ». Monsieur Giscard en respirant les fleurs du mal contemporaines nous offre de bien belles illuminations.